Dans combien de temps seras-tu là?

vendredi 21 octobre 2011

Adoption: dommages collatéraux

Tiré du blogue Ladytorial

Un si long voyage...

Il y a cinq ans, hier, un petit équipage affrétait un minuscule voilier pour prendre la mer et voguer jusqu'au bout du monde où les attendait, leur avait-on promis à l'époque, un deuxième petit matelot. Il a fallu des mois de préparatifs (demandes de passeports, visas, frais de ci ou de ça) avant que l'autorisation de quitter leur port ne leur soit enfin accordée. Même le premier moussaillon a mis la main à la pâte du haut de ses trois pommes, rêvant du jour où il rencontrerait enfin ce nouveau mousse dont il avait tant entendu parler.

Le voyage devait durer dix mois. À chaque mois qui passait, l'équipage faisait un X sur le calendrier, croyant dur comme fer qu'il se rapprochait de sa destination. Pourtant, le paysage ne changeait pas et l'horizon demeurait désespérément vide de tout îlot de verdure qui aurait pu laisser croire que l'aventure tirait enfin à sa fin. L'équipage a commencé peu à peu à douter. Le matelot qui venait de passer un quart de sa petite existence en mer à rêver de cet endroit magnifique a commencé à craindre de ne pas y arriver. Et la tristesse s'est installée.

La capitaine, qui était, elle, certaine d'y parvenir, réussit à convaincre son mousse qu'il fallait continuer d'espérer même si peu d'indices laaissaient croire à la réussite de leur projet. Elle y croyait elle-même si fort que tout l'équipage resta accroché à l'idée de réaliser le rêve.

Le voilier croisa un peu plus tard un énorme navire à la recherche d'un équipage d'adoption pour un petit matelot abandonné. Le petit matelot fut accueilli à bord avec tellement de joie et de gratitude par tout l'équipage que cela donna une nouvelle énergie à leurs espoirs d'arriver un jour à destination et le petit nouveau se mit à y croire lui aussi. La capitaine, toujours consciente du périple qu'ils avaient entrepris, profita de cette magnifique nouvelle pour faire la démonstration à son premier moussaillon que la foi pouvait déplacer des montagnes. Et le voilier poursuivit son long voyage.

Une pomme, deux pommes passèrent sans qu'il n'y ait trop de soubressauts. L'équipage gardait le cap et chacun jouait son rôle sans trop d'accrochages, certains ayant décidé de s'accrocher à l'espoir, d'autres ayant plutôt choisi d'oublier pour éviter de trop souffrir. Puis le voilier se mit à traverser des tempêtes. L'équipage fut alors fort occupé à protéger l'embarcation et les matelots commencèrent à ressentir certains signes de détresse. On ne part pas en mer si longtemps sans en venir à souffrir de certains maux qui peuvent dégénérer si on n'y prend pas garde. D'autant que chacun ne vécut pas la désespérance de ce voyage trop long de la même façon.

L'idée de l'arrivée à destination a guidé la majorité des membres de l'équipage, mais le second, qui croyait à l'aventure autant que les autres au départ, a décidé, lui, de rompre tout lien avec ce projet parce que cela le faisait trop souffrir. Il avait espéré pendant de longues années, mais son espérance avait une limite qu'il ne souhaita pas repousser. Son coeur se referma à toute émotion. Désormais, il ne croirait plus les belles promesses qu'on leur avait fait. Le fait que le reste de l'équipage continue d'y croire le dépassait. Et cela engendra d'autres tempêtes.

Une pomme, deux pommes, trois pommes, quatre pommes passèrent depuis ce fameux jour où le voilier quitta le port. Quatre très longues années à traverser des tempêtes, à continuer d'espérer, à travailler à garder au beau fixe le moral des troupes malgré un baromètre changeant certains jours. Si certains phares qui croisèrent le navire constatèrent la fragilité des moussaillons qui luttaient au travers des tempêtes, personne ne comprit vraiment le drame de ce petit équipage qui s'accrochait malgré tout; chacun ayant plus ou moins pris pour acquis que l'embarcation ne se rendrait jamais à bon port. Pourtant, les X continuaient de s'accrocher aux calendriers qui marquaient les années.

Quatre pommes et demi plus tard, ayant épuisé toutes les larmes qu'elle avait pu verser dans les flots au fil des ans, la capitaine pris la très difficile décision de mettre fin au projet que l'équipage avait chéri et porté au péril de leurs existences pendant toutes ces années et elle télégraphia sa décision d'abandonner aux autorités concernées. Ce fut l'une des décisions les plus difficiles qu'elle eut à prendre. Le bateau n'irait plus à l'autre bout du monde. Pour survivre à cette peine immense qu'elle ressentait et qu'elle faisait vivre à un équipage qui l'avait suivi contre vents et marées au travers les tempêtes et les vagues robustes qui avaient attaqué leur coque, elle contacta également le capitaine de ce gros navire qu'ils avaient croisé un peu plus tôt pour lui signifier leur souhait de prendre à bord un autre petit matelot abandonné si l'occasion se présentait.

À la grande surprise de l'équipage, il ne se passa que quelques mois avant que le capitaire de l'autre paquebot ne les contacte pour leur signaler un possible prochain arrimage. Capitaine, second et matelots en furent tout étonnés, mais la nouvelle redonna un peu d'espoir à chacun. Et si tout ce chemin houleux parcouru en cinq ans n'avait pas été vain?

C'est que ce que la capitaine voudrait croire. Elle le souhaiterait de toutes ses forces, mais elle ne peut faire abstraction de la fragilité de son navire, de la fatigue de son équipage. Elle se retrouve donc devant deux choix: aller de l'avant et accueillir ce nouveau mousse tant espéré malgré les fissures qu'elle a inventorié en espérant de toutes ses forces que chacun des membres de l'équipage reprendra des forces de nouveau amarrer à quai ou refuser l'abordage et se discréditer auprès de ses moussaillons qui l'ont suivi aveuglément toutes ces années, croyant à la lettre ses promesses qui voulaient que s'accrocher à ses rêves finissait toujours par donner des résultats. Comme si elle leur avait menti... délibérément, mois après mois après mois...

Évidemment, tous les rêves ne se réalisent pas. La capitaine le sait bien. Elle en a fait la triste expérience à quelques occasions dans sa vie. Mais la décision qu'elle a à prendre aura un grand impact sur la suite des choses. Soit qu'elle fait un acte de foi et qu'elle accueille un mousse de plus dans la tourmente si la tourmente se poursuit risquant peut-être de compromettre le bonheur d'une personne e plus, soit qu'elle annonce à ses deux petits matelots que les tempêtes traversées l'ont été pour rien et qu'il n'y aura jamais de récompense à l'arrivée. Que le voilier a failli couler pour rien. Que l'équipage a failli sombrer pour rien. Que le voyage a été vain. Que tous ses membres ont rêvé inutilement.

Le voyage a été long. Le triste anniversaire commémoré hier a été pénible et la décision à prendre sera difficile. La solution est loin d'être évidente...

Qui êtes-vous ?

Une voix parmi tant d'autres...