Dans combien de temps seras-tu là?

vendredi 24 juin 2011

Le deuil

Il y a cinq ans et demi, presque jour pour jour, une maman et un papa ont formulé le souhait d'agrandir leur famille en ouvrant leur cœur à une enfant venant d'ailleurs. Leurs yeux se sont tournés vers l'Empire du milieu où on leur a permis de déposer une demande d'adoption. Vous pouvez vous imaginer que leur joie était à son paroxysme à la seule pensée d'accueillir chez eux une fillette que la vie avait privée de ses propres parents. Ils se considérèrent alors tellement privilégiés d'avoir une chance pareille.

Des mois durant, ils ont espéré sa venue. À chaque fois que la communauté des parents adoptants apprenait l'arrivée imminente de nouveaux enfants dans cette grande famille mondiale, ils se sont réjouis avec les autres, s'attendrissant à chaque fois devant le minois de ces petits trésors qui trouvaient enfin une famille, imaginant quel bonheur serait le leur lorsque le destin frapperait finalement à leur porte.

Les semaines, qu'ils égrenaient lentement sur leur calendrier en nourrissant leur espoir, se sont transformées en mois, puis en années interminables. Les futurs parents sont passés par toutes les gammes d'émotions, de l'impatience la plus insoutenable au désespoir le plus cruel en passant par la colère d'être à la merci d'un système qui nie pratiquement leur existence, ne les considérant uniquement que comme une fin justifiant les moyens, sans aucune considération pour leurs rêves et leurs espérances.

Évidemment, quiconque ayant un peu étudié la question de l'adoption internationale comprendra que les enfants mis en adoption ne sont pas là pour combler le rêve de parents désireux d'agrandir leur famille, mais bien plutôt en quête d'une famille qui saura les mener vers la vie adulte dans les meilleures conditions possibles, entourés d'amour et de douceur. La nuance est importante et mérite d'être rappelée. Les enfants ne sont jamais garants du bonheur de leurs parents, alors que ces derniers ont l'immense responsabilité de veiller à ce que leurs petits grandissent dans la joie au meilleur de leurs connaissances.

Cela étant dit, il n'en demeure pas moins que les parents qui prétendent à l'adoption internationale se préparent très sérieusement à l'arrivée de ces petits choux, qu'ils en rêvent au plus profond de leur cœur, qu'ils se les imaginent, tout grouillants de vie, lovés au creux de leurs bras aimants. Ils attendent leur enfant avec autant de joie que ces mamans et ces papas qui tricotent pendant neuf mois leur petit trésor au creux du ventre maternel en s'imaginant comment ce sera quand il sera enfin né. Si leur grossesse devait se prolonger 12, 24, 48 ou 60 mois, quelle serait leur réaction?

L'attente, lorsqu'elle se prolonge indéfiniment, devient un véritable cauchemar. On ne comprend plus ce qui se passe, l'un décroche, alors que l'autre continue d'espérer au quotidien. Il se crée alors un fossé infranchissable entre les conjoints où les larmes du premier creusent davantage l'incompréhension du second. Le beau rêve perd lentement de sa saveur, les milliers de kilomètres, qui paraissaient un détail au moment où l'aventure a débuté, érigent une frontière qui devient peu à peu hermétique à tout espoir. Le beau petit bébé qu'on imaginait aller chercher à l'autre bout du monde et ramener chez-soi pour le faire entrer dans sa famille pâlit peu à peu... Existe-t-il même vraiment?


Cette belle enfant que l'on a imaginée sans la connaître, à qui l'on a écrit régulièrement dans le secret de son cœur, que l'on a aimée au plus profond de soi sans même avoir eu la chance de la tenir entre ses bras meurt petit à petit au fil des ans et la peine s'installe. L'enfant n'est jamais arrivée et le cœur pleure à chaudes larmes. Un peu fou comme sentiment, sentiment pourtant bien réel.

À toi, mon amour de petite fille que j'ai tant espérée et que je n'aurai jamais la chance de connaître, adieu. Pardonne-moi de ne jamais être allée te chercher. Aussi incroyable que cela puisse paraître aux yeux des non initiés, je te pleurerai comme on pleure un enfant qui n'a jamais vu le jour et que l'on a chéri bien avant son premier battement de cœur. Je t'aime mon beau bébé chéri, ma petite fleur de lotus à moi...

Ta maman qui ne le sera jamais

Qui êtes-vous ?

Une voix parmi tant d'autres...